Pourquoi utiliser le silence en coaching ?

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« Si les poissons sont muets, les poissonnières sont bavardes pour eux. » 
Georg Christoph Lichtenberg

On a tendance à dire que les gens qui parlent beaucoup cherchent à remplir le vide, à remplir les blancs pendant lesquels ils sont mal à l’aise.

En coaching, lorsque la question est puissante, elle provoque un silence. Le client a besoin d’aller chercher plus en profondeur. On ne peut pas couper un coaché dans son élan de réflexion et d’introspection, il faut faire silence.

Le coaché peut ressentir le même sentiment de frustration et de colère que les artistes interviewés par des journalistes qui ont besoin de briller. Il doit avoir assez de place pour s’exprimer et pour aller au bout de ses idées. Le silence est un vide qui va servir à inspirer.

Je suis convaincu que mes coachés ont besoin de temps pour associer et tout simplement pour penser. La majorité de mes clients sont des dirigeants qui ne prennent pas de temps pour eux, du temps pour élaborer, du temps pour se poser et se penser. En tant que coach, pendant deux heures je suis à la disposition de mon client pour l’aider à élaborer tout ce dont il ne prend pas le temps de penser. Thierry Boiron, PDG des Laboratoires Boiron, aime utiliser cette maxime :

« Il faut transformer toute cette merde en engrais ! »

Dans ma façon de coacher, je ne bombarde pas mon client de questions : il sait pourquoi il est là. Cependant, j’ai la volonté de l’aider à penser plus vite. Mes questions, mes interventions et mes relances vont servir de marche vers un niveau plus élevé ou plus profond dans sa réflexion.

D’où l’importance de bien choisir ses questions au moment de son intervention. Je fais confiance à mon intuition et je ne cherche pas à plaquer de questions toutes faites. Le coaché a besoin de questions de relances sur lesquelles s’appuyer.

Je choisis de faire du coaching en silence pour son honnêteté et sa simplicité

Pourquoi le silence ?

Florence Lamy et Michel Moral abordent la question du silence dans leur ouvrage “Les outils du coach” :

« Le silence du coach oblige le coaché à imaginer ce qu’il peut bien signifier. Alors qu’un des messages du coach est que l’implicite ou le sous-entendu créent une rupture de la communication préjudiciable à une saine relation avec autrui, il utilise justement le silence qui, dans notre civilisation occidentale, est souvent perçu comme gênant, voire agressif. Si d’autres cultures le voient comme un signe de respect ou comme un espace laissé à l’autre pour construire sa réponse, les Européens ou les Américains, en effet, le redoutent ; mais l’anxiété qu’il suscite peut être structurante.

[…] le vide que laisse le coach en ne disant rien peut permettre la mise au jour de problématiques jusque-là écartées et encourager le coaché à sortir ses tripes. »

En effet, notre société moderne en quête perpétuelle de performance n’accepte pas de laisser du temps pour faire silence. Un dirigeant ne s’autorise pas à penser, à écouter ou à dire qu’il ne sait pas ! Le coach est là pour lui renvoyer cette posture : il est face au dirigeant pour qu’ils prennent ensemble le temps de penser. Et quelle meilleure façon que de le faire en silence ? 

Que faire du silence dans le coaching ?

Alain Cardon consacre tout un chapitre sur le silence en coaching dans son ouvrage “L’art véritable du Maître Coach” :

« Pour le maître coach, la fonction de silence ne consiste pas seulement à se taire à des moments stratégiques. Elle repose sur une attitude fondamentale qui doit imprégner l’ensemble du déroulement d’une séance de coaching, voire d’une session et même de tout le parcours d’accompagnement. »

Il ne suffit pas de se taire pendant un coaching pour faire silence, il faut être à la disposition de son client pour être prêt à l’accueillir.

« La disponibilité inconditionnelle du coach au sein d’un espace silencieux et la présence attentive qu’il offre au client au cours d’un entretien sont là pour agir comme le vide créé au sein d’un aspirateur.  Puisque le vide appelle le plein, ce vide créé par le silence attentif du coach sert à aspirer les pensées, les émotions, les motivations, les intuitions, les inspirations voire les aspirations les plus profondes du client. »

Certains pensent que le coach n’est pas là pour faire le vide mais pour faire le plein. Je ne me considère pas comme une éponge prête à absorber le flot de paroles que le coaché va déverser. Mais je me vois plus comme un canard dont les plumes vont le protéger de l’eau. Le canard n’est pas mouillé mais il est capable de nager, de flotter et de voler sans que l’eau ne semble lui poser problème. Il a toute une palette d’outils pour se débrouiller sur terre, sur l’eau, sous l’eau et dans les airs.

« Ce n’est qu’au sein de ce vide accueillant que le client peut véritablement se chercher, se développer puis s’épanouir. Si le client achète une compétence précise à un coach, c’est sa capacité à créer un volume, voire un univers vide de toute influence au sein duquel il va pouvoir se trouver, se définir, se déployer et se conjuguer, totalement libre d’influences externes.  Bien entendu, afin de pouvoir offrir cet espace de liberté, voire ce vide à son client, le coach doit lui-même d’abord faire son propre ménage intérieur.  Alors qu’il écoute le client, le coach doit s’abstenir d’encombrer l’espace commun avec ses propres pensées, ses émotions, ses connaissances, ses projets ou ses solutions. Comme un espace sidéral, le vide ainsi offert au client est sans odeur et sans saveur, sans distinction aucune, sans haut et sans bas, sans intérieur ni extérieur, inclusion ni exclusion. Simplement chaleureux, cet espace est totalement vierge de toute information. »

Un coach ne peut pas accueillir correctement son coaché si lui-même n’est pas au clair avec ses problématiques. Le vide n’est pas possible lorsque l’on est encombré avec trop d’éléments que la thérapie et la supervision n’ont pas travaillés.

« Pour un maître coach, c’est l’ensemble de la relation avec le client qui se fait sous un vide presque permanent, une aspiration constante.  Par conséquent, la fonction d’aspiration est presque une définition de la relation de coaching.  Le silence et le vide que le maitre coach propose ne sont plus une technique mais font partie de l’ensemble de la présence attentive, à la fois puissante et exigeante, accordée au client. »

Le coach n’est pas là pour se mettre en avant face à son client. Le silence et le vide vont de pair avec la position basse. Un coach n’a pas de compte à régler avec son client, il s’efforce d’être dans la plus grande des bienveillances.

« Soulignons ici que la pertinence de presque toutes les autres compétences essentielles du coach professionnel – savoir poser des questions puissantes, reformuler, voire répéter un mot clé – se mesurent aussi au vide qu’elles permettent de provoquer chez le client.  Une question puissante, bien formulée au moment opportun pour le client sera généralement suivie d’un long silence au cours duquel celui-ci se sonde, se cherche, et réfléchit. Et ce silence est recherché. Il ne doit surtout pas être interrompu. »

Lorsqu’un coach interrompt un client, il va avoir tendance à couper le fil de réflexion et le sortir d’un état d’osmose obtenu quand le coaché est en pleine confiance et laisse aller ses pensées.

« Une bonne question provoque donc le silence du client, accompagné par le coach.  Plus la question du coach est bonne, plus le silence du client se fait long et profond.  A l’opposé, il est souvent possible d’affirmer qu’une question à laquelle un client répond sans hésitation est probablement une question sans aucun intérêt, en tous cas pour le client.  Puisqu’il en connait déjà la réponse, la question ne lui apporte en effet rien de nouveau. »

D’où la nécessité de bien choisir ses mots, ses syntaxes et ses intonations. Un coach qui tire ses questions à bout portant a peu de chance d’obtenir quelque chose de son client. La question n’a pas vocation à mettre en valeur les qualités du coach mais à appuyer la réflexion du coaché : une marche pour avancer !

« Lorsqu’un client sait immédiatement répondre à son coach, son intervention peut être considérée comme simplement incrémentale ou informative.  Lorsqu’au lieu de répondre à une question, le client plonge dans une réflexion profonde et silencieuse, c’est là que le coach peut encore davantage se taire et recommencer à réellement écouter. »

Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise question mais plutôt des questions bien posées au moment opportun. Parfois certaines questions ne nécessitent pas de réponse.

« Par conséquent, la présence silencieuse du coach mérite d’être plus appuyée ou plus dense et intense lorsque le client se tait.  En silence, le client se cherche souvent beaucoup plus profondément que lorsqu’il s’exprime et comble l’espace de la relation.  Il s’ensuit que plus le client est véritablement en relation de coaching, plus le coach est silencieux.  Et vice versa. »

La simple présence du coach est parfois suffisante à l’image de certains psychanalystes qui ne prononcent pas un mot !

« Pareillement, lorsqu’occasionnellement, le coach reformule une phrase du client, lorsqu’il relève une de ses expressions ou encore lorsqu’il répète avec interrogation un mot clé, ce n’est pas tant pour en savoir plus mais surtout pour aider le client à s’interrompre pour réellement s’entendre et recommencer à plus profondément s’écouter. Nous pouvons en conclure que les meilleures interventions du coach servent essentiellement à interrompre le client et à le ramener à son silence ou à sa réflexion.   Lorsque le client parle, il n’exprime que ce qu’il sait déjà.  Il explique au coach.  Lorsqu’il se tait et réfléchit, c’est qu’il se cherche de nouvelles images, des mots qui lui sont inconnus, c’est qu’il ose s’aventurer hors de son univers habituel afin de saisir des formes qui jusque-là lui avaient échappé. C’est dans ces moments de silence intensif que le client cherche à se créer de nouvelles synapses. »

Le travail du coach est un travail d’investigation. Si le coach était un archéologue, il aurait lui aussi toute une palette d’outils à sa disposition. Le coach cherche sans but précis et sans envie particulière : l’important c’est le chemin que le coaché souhaite parcourir.

« Les interventions d’un maître coach servent beaucoup plus à créer un silence qu’à provoquer son remplissage, plus à interrompre qu’à diriger, plus à stopper le client dans son élan rassurant qu’à le soutenir dans une décision trop rapide ou un plan d’action trop évident. »

Toute la finesse du coaching repose dans la capacité à poser la question que le coaché n’attend pas, celle qui va lui permettre d’avancer. J’ai tendance à laisser faire mon intuition pour poser mes questions. J’ai parfois observé que le coaché ne comprends pas du tout le sens que j’ai voulu donner à ma question ! Même si le coaché répond à côté, il s’est orienté et il avance sur son chemin.

« Le coaching est essentiellement une approche interruptive qui fonctionne par aspiration. C’est pour cette raison peut-être que le coach est réputé ne jamais pousser son client pour le faire avancer.  Fondamentalement, le coaching fonctionne par aspiration plutôt que par traction ou propulsion. »

Il est impensable de vouloir emmener ou diriger un coaché dans un endroit précis. Il est le seul à connaitre le chemin qu’il va devoir emprunter, nous le suivons, nous l’épaulons dans cette aventure avec tous les outils que nous pouvons lui mettre à sa disposition.

Le silence c’est aussi l’angoisse de la plage blanche.

Pourquoi certains n’arrivent pas à créer sans qu’un cadre soit posé ? Pourquoi certains coachés ont plus besoin que d’autres d’être guidés dans leur réflexion ?

Je suis toujours étonné de voir des gens rentrer dans mon bureau avec autant de choses à déposer : c’est mon rôle de cadrer et d’aller chercher leur véritable demande.

En laissant de la place, en faisant silence, le coach va aspirer des choses beaucoup plus profondes chez son client : le coach est alors entièrement à l’écoute de tout ce que son client souhaite transmettre. Le coach a le devoir d’entendre les paroles mais également tout ce qu’il y a autour !

« Il n’y a rien de plus intime, de plus chargé qu’un silence partagé. » Leena Lander

Le silence est un outil puissant dans le coaching mais il est inutile sans émotions, sans légèreté, sans sincérité et sans quelques mots bien choisis !

Sylvain Bourgeois, 17 août 2018